L’Algérie est entrée dans une phase de tension diplomatique inédite avec les Émirats arabes unis, accusés d’ingérence et de tentative de déstabilisation à travers une campagne ciblant l’unité nationale algérienne. Au cœur de la controverse, des déclarations polémiques tenues par Mohamed Lamine Belghit sur la chaîne Sky News Arabia, propriété d’Abu Dhabi. Retour sur une affaire explosive aux ramifications multiples.
Une accusation sans précédent : les Émirats ciblés par Alger
Dans un éditorial d’une rare fermeté diffusé le 2 mai par la Télévision algérienne (ENTV), les autorités algériennes ont pointé du doigt les Émirats arabes unis, les accusant explicitement de mener une opération de déstabilisation interne. L’unité nationale, qualifiée de « ligne rouge », a été vigoureusement défendue, alors que l’Algérie promet désormais de répondre « coup pour coup » à ce qu’elle considère comme une agression d’un « mini-État artificiel ».
Ces propos tranchants font suite à une sortie jugée provocatrice de Mohamed Lamine Belghit, intervenant sur Sky News Arabia, qui a nié l’existence historique de la dimension amazighe dans l’identité algérienne, la qualifiant de « création des services français et israéliens ».
L’indignation algérienne : atteinte à l’identité nationale et à la cohésion sociale
La réaction algérienne ne s’est pas fait attendre. Dans un contexte de tensions régionales croissantes (au Sahel, en Libye, et au Sahara occidental), ces propos ont été perçus comme une attaque directe contre le socle de la nation. Le président Abdelmadjid Tebboune avait déjà, en mars 2024, accusé les Émirats d’ingérences dans plusieurs conflits africains, affirmant :
« Partout où il y a des conflits, l’argent de cet État est présent, au Mali, en Libye, au Soudan. »
Les tensions se sont accentuées avec la perception, du côté algérien, d’une volonté émiratie de saboter les intérêts géostratégiques de l’Algérie, notamment en soutenant le gazoduc Nigeria-Maroc au détriment du projet algérien jugé plus réaliste.
Le rôle de Mohamed Lamine Belghit : un discours diviseur
Selon Alger, la tentative de division ne se limite pas à la sphère géopolitique. Le discours de Mohamed Lamine Belghit incarne une stratégie bien plus pernicieuse : la division interne du peuple algérien sur des bases identitaires.
Depuis plusieurs années, Belghit et son courant idéologique, souvent affilié à la mouvance dite Badissia Novembaria, sont accusés de s’attaquer aux fondements même de l’identité nationale algérienne. Ce courant, selon l’État, a dépassé les limites de la controverse académique en visant des figures sacrées de la révolution comme Abane Ramdane et en attisant les tensions régionales entre le nord et le sud du pays.
« Dans un pays qui sacralise les chouhada, un fonctionnaire de l’État a osé s’attaquer à Abane Ramdane », avait dénoncé le président Tebboune en mai 2024.
Réaction judiciaire rapide : arrestation et mise en détention de Belghit
Face à l’indignation généralisée, la justice algérienne a rapidement pris les choses en main. Le samedi 3 mai, Mohamed Lamine Belghit a été arrêté et présenté devant le parquet de Dar El Beida. Le tribunal a annoncé l’ouverture d’une enquête pour plusieurs chefs d’inculpation graves.
Selon le communiqué officiel :
« Le suspect est poursuivi pour actes visant l’unité nationale en attaquant les symboles de la nation et de la République, atteinte à l’unité nationale, et diffusion d’un discours de haine et de discrimination via les technologies de l’information. »
Une offensive idéologique et géopolitique : entre complot et guerre de l’information
Au-delà de la figure de Belghit, Alger estime que cette affaire s’inscrit dans une stratégie plus large de guerre hybride, où se mêlent médias, ingérence politique, et soutien aux mouvances séparatistes.
Ce n’est pas la première fois que les Émirats arabes unis sont associés à des actions hostiles contre l’Algérie. Le soutien émirati à des régimes militaires en Afrique, à Haftar en Libye, ou encore leur proximité avec le Maroc dans le dossier du Sahara occidental, ont déjà suscité des frictions.
Mais cette fois, la ligne rouge semble franchie : la tentative supposée de saper l’unité nationale de l’intérieur est considérée comme une attaque directe contre la stabilité du pays.
La question amazighe : un pilier constitutionnel non négociable
Depuis la révision constitutionnelle de 2016, la reconnaissance de la langue et de l’identité amazighe fait pleinement partie du socle national algérien. En contestant cette dimension, Belghit a, selon les autorités, commis une atteinte directe à la Constitution et aux fondements de la République.
Dans cette affaire, la défense de l’amazighité n’est pas seulement une revendication culturelle ou identitaire, mais une exigence de souveraineté. L’État algérien affirme ainsi sa volonté de défendre l’unité du peuple dans toutes ses composantes historiques et culturelles.
Une affaire aux répercussions diplomatiques
La tension entre Alger et Abu Dhabi pourrait entraîner des conséquences diplomatiques durables, d’autant que cette affaire s’ajoute à une série de différends non résolus entre les deux pays :
- Divergences sur la normalisation avec Israël.
- Rivalités énergétiques et économiques.
- Positionnements antagonistes en Afrique.
Certains analystes parlent déjà d’un possible gel des relations diplomatiques ou de rappels d’ambassadeurs si l’escalade verbale se poursuit.
L’unité nationale, un rempart contre les ingérences
L’affaire Belghit dépasse la simple polémique individuelle. Elle met en lumière les nouvelles formes d’ingérence et de déstabilisation à travers les médias, les réseaux sociaux et les discours identitaires. Pour l’Algérie, il s’agit d’un signal d’alarme : l’unité nationale est désormais une cause sacrée et une priorité stratégique face aux menaces extérieures et aux divisions internes.
Dans ce contexte tendu, les autorités entendent réagir avec fermeté et vigilance. La mobilisation générale en préparation n’est pas anodine. L’Algérie veut se montrer prête à faire face à toute tentative de fragmentation de sa société, qu’elle vienne de l’intérieur… ou de l’extérieur.