Le lundi 5 mai 2025, la chambre 5 du pôle économique et financier du tribunal de Sidi M’hamed à Alger a ouvert l’un des plus grands procès liés à la corruption électorale en Algérie. Au cœur du dossier : des accusations graves concernant l’achat massif de voix lors de l’élection présidentielle de 2024. En ligne de mire : la cheffe d’entreprise Saïda Neghza, ancienne candidate à la magistrature suprême, et 82 autres personnes.
Le procès a attiré une foule impressionnante, composée de prévenus, d’avocats, de journalistes et d’observateurs. La salle d’audience débordait, révélant l’ampleur de cette affaire qui ébranle les fondements démocratiques du pays. Les faits sont graves : il est reproché aux accusés d’avoir mis en place un réseau de corruption pour acheter les signatures de soutien d’élus contre de l’argent, au tarif de 800 dinars algériens par voix.
Un système organisé autour de “la valise de Marseille”
L’enquête a révélé des pratiques bien huilées. Les accusés auraient utilisé des sommes importantes pour convaincre des élus de parrainer certaines candidatures. Des formulaires de soutien et de l’argent liquide circulaient discrètement. Les enquêteurs ont découvert une valise noire surnommée “sac Marseille”, contenant 30 millions de centimes et des formulaires de soutien non signés.
Ce détail a choqué l’opinion publique et renforcé les soupçons d’un système structuré de fraude électorale.
Les autorités judiciaires ont assuré que cette affaire marque un tournant. La justice algérienne veut en finir avec l’époque où l’argent sale influençait les résultats des scrutins. Cette position s’inscrit dans les instructions du président Abdelmadjid Tebboune, qui prône la séparation stricte entre l’argent et le pouvoir politique.
Le parquet a engagé des poursuites immédiates contre tous les suspects, affirmant sa volonté d’assainir la scène politique.
Saïda Neghza au centre du scandale
Parmi les trois principaux candidats impliqués figure Saïda Neghza, présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA). Elle comparaît avec 80 co-accusés, dont deux autres anciens candidats à la présidentielle : Belkacem Sahli et Abdelhakim Hammadi. Tous sont poursuivis pour :
- octroi d’avantages indus,
- abus de fonction,
- trafic d’influence,
- promesse de dons en vue d’obtenir des voix,
- et escroquerie.
Témoignage clé : le rôle du vice-président de la CGEA
Le témoignage de Mohamed B., vice-président de la CGEA, a été scruté de près. Selon l’accusation, il aurait proposé de réunir 50 000 formulaires de parrainage contre 4 milliards de centimes. Il aurait même versé une partie de la somme promise à un intermédiaire.
Mais à la barre, l’homme nie tout en bloc. L’accusé reconnaît avoir voulu aider Saïda Neghza à obtenir les signatures nécessaires, mais sans jamais avoir négocié de montants ou orchestré de transactions illégales. Il affirme avoir simplement mis en relation Mme Neghza avec d’anciens militants du FLN pour la soutenir.
Il a déclaré :
“Je n’étais qu’un intermédiaire. Je voulais juste aider une amie à atteindre ses objectifs politiques. Je ne suis ni politicien ni militant.”
Mohamed B nie également avoir eu connaissance d’un quelconque sac rempli d’argent ou de formulaires. Interrogé sur une somme de 600 millions de centimes évoquée lors de l’enquête, il affirme n’avoir aucune information à ce sujet.
Des détails troublants révélés à l’audience
Le juge a confronté Mohamed B. à plusieurs éléments. Notamment, ses propos lors d’une réunion au siège de la confédération, où il aurait promis entre 500 et 800 dinars par formulaire. Un autre passage marquant concerne une rencontre chez un certain Dhamani, où une partie de l’argent aurait été remise. Là encore, il conteste la véracité de ces affirmations.
Le juge a aussi mentionné le rôle du frère de Saïda Neghza, qui aurait été chargé de transporter certains documents et fonds. Mohamed B. a confirmé l’avoir recommandé pour cette tâche, en raison des besoins logistiques évoqués par les intermédiaires.
Une affaire aux multiples ramifications
Ce dossier ne se limite pas à une simple tentative de fraude électorale. Il révèle aussi le fonctionnement opaque de certains cercles politico-économiques en Algérie. Le recours à des moyens financiers pour orienter le jeu démocratique reste une menace réelle.
Plusieurs autres accusés ont également évoqué leur participation indirecte, justifiée par des “services rendus” ou une volonté d’aider sans comprendre la portée illégale de leurs actions.
Les avocats de la défense ont tenté de faire valoir des exceptions de procédure. Mais le juge a décidé de les intégrer au fond du dossier, préférant aller au cœur des faits. L’interrogatoire des accusés va se poursuivre dans les prochains jours, promettant d’autres révélations.
Vers une nouvelle ère politique ?
Ce procès représente un signal fort. Il pourrait marquer la fin d’une époque où la manipulation électorale se faisait en toute impunité. Les institutions, désormais, semblent décidées à assainir le processus démocratique.
La pression de la société civile, des médias, et de l’opinion publique pousse également en ce sens. Les Algériens demandent plus de transparence et d’équité dans les processus électoraux.
Le procès de Saïda Neghza et de ses co-accusés pourrait bien devenir un tournant historique. Au-delà de la condamnation de certains individus, c’est toute une culture politique qui est remise en question. L’Algérie peut-elle définitivement tourner la page de la corruption électorale ? Le verdict attendu dira si le pays est prêt à entamer cette transition décisive vers un État de droit plus solide.