En 2025, l’Algérie se retrouve confrontée à un scandale de corruption d’une ampleur inédite impliquant l’Agence Nationale des Loisirs et de la Jeunesse (ANALJ). Des détournements massifs de fonds publics, estimés à plus de 620 milliards de centimes, ont été révélés, mettant en cause l’ancien ministre de la Jeunesse, Abdelkader Khomri, ainsi que plusieurs hauts responsables et entrepreneurs.
Traitements de faveur, favoritisme, obtention de registres de commerce ajustés selon les besoins, radiés à la fin du projet, mainmise sur les projets de loisirs et de divertissement, instructions verbales et promesses de paiements sans procès-verbaux d’exécution… Des factures s’élevant à des milliards pour obtenir des marchés de gré à gré par simple appel téléphonique. Ainsi s’est transformée l’Agence nationale des loisirs pour jeunes (ANLJ) en une sorte de « marché D15 ». Voici les détails du procès de l’ancien ministre Abdelkader Khomri, des cadres de l’agence incarcérés et de plusieurs opérateurs privés.
Des Projets Récréatifs Détournés
Entre 2014 et 2015, l’ANALJ a lancé des projets visant à créer des villages récréatifs pour la jeunesse dans plusieurs wilayas, notamment Alger, Oran, Constantine, Tébessa et Annaba. Ces initiatives comprenaient des installations telles que des piscines, des patinoires et des jeux aquatiques. Cependant, les enquêtes ont révélé que ces projets ont servi de couverture à des opérations de détournement de fonds. Des équipements de qualité inférieure, importés de Chine, ont été facturés à des prix exorbitants, parfois jusqu’à 20 fois leur valeur réelle .
Les investigations ont mis en lumière des pratiques illégales dans l’attribution des contrats. Des entreprises ont obtenu des marchés sans passer par les appels d’offres obligatoires, en violation flagrante des lois sur les marchés publics. Certains contrats, dépassant les 800 millions de centimes, ont été attribués directement, avec l’approbation du gouvernement, contournant ainsi les procédures légales en vigueur .
L’ancien ministre Abdelkader Khomri, actuellement sous contrôle judiciaire, est poursuivi pour abus de pouvoir, détournement de fonds publics, enrichissement illicite et blanchiment d’argent. Quatre hauts responsables de l’ANALJ sont en détention provisoire, et plus de 60 autres personnes, dont des entrepreneurs, sont impliquées dans cette affaire. Les charges incluent la conclusion de contrats sans appel d’offres, l’octroi de privilèges injustifiés et la falsification de documents officiels .
Détournements, surfacturations et pots-de-vin
L’affaire porte sur des malversations commises durant le mandat de Khomri à la tête du ministère de la Jeunesse. L’Inspection générale des finances (IGF) avait révélé de graves irrégularités dans la gestion de l’ANLJ. Cette agence publique, censée promouvoir les loisirs pour les jeunes, aurait servi à enrichir un réseau d’acteurs corrompus.
Le procès a révélé plusieurs pratiques frauduleuses : détournements, falsifications, surfacturations et paiements pour services fictifs. L’État a été directement lésé. Plus de 180 milliards de centimes ont disparu dans des circuits opaques. Le directeur général de l’ANLJ, principal mis en cause, a reçu une peine de 10 ans de prison ferme.
600 milliards de centimes détournés dans des projets de divertissement
Le juge a révélé un détournement de plus de 600 milliards de centimes, via des marchés de gré à gré pour créer des villages de loisirs et des aires de jeux pour jeunes dans cinq wilayas : Alger, Oran, Constantine, Ouargla et El Oued. Ces projets ont été accaparés par des opérateurs privés de façon douteuse, par la manipulation des registres de commerce et des annexes, pour fournir des équipements de loisir : toboggans aquatiques, patinoires artificielles, karting, cirque, manèges, chevaux mécaniques, voitures pour enfants, équipements sportifs, repas, etc.
Cependant, le cahier des charges initial a été contourné de manière frauduleuse. En complicité avec certains responsables, des jeux de mauvaise qualité ont été importés de Chine et d’autres ont été loués en Algérie à un prix vingt fois supérieur à leur coût d’achat si l’État s’en était chargé directement.
Registres commerciaux falsifiés et factures gonflées
Dès le début de l’interrogatoire des opérateurs économiques, le président du pôle économique répétait les mêmes questions :
« Comment avez-vous obtenu ce marché avec l’ANLJ ? Pourquoi par gré à gré ? Qui vous a contacté ? Avez-vous reçu des avances ? Pourquoi avoir accepté une réduction du montant initial ? Cela signifie que vous avez gonflé les prix et les factures dès le départ ? Pourquoi avoir créé des registres commerciaux sur mesure pour l’événement et les avoir radiés immédiatement après ? Vous traitez avec une institution publique, pas un marché de fruits et légumes. Il n’y avait ni contrat, ni convention, ni ordre de service. »
Ces interrogations ont mis en lumière une corruption systémique. Des registres de commerce ont été créés ou modifiés uniquement pour obtenir des annexes et des contrats. Par exemple, l’opérateur B. Ryad, propriétaire de la société Media Algérie, spécialisée dans le cinéma, a modifié son registre pour obtenir des annexes liées à la location de piscines. Le juge l’a interpellé :
« Quel est le rapport entre votre activité cinématographique et la location de piscines ? »
Ce dernier n’a pas nié :
« Oui, j’ai bénéficié d’annexes pour des travaux supplémentaires et j’ai perçu de l’argent. »
Le rôle trouble de Khomri
Abdelkader Khomri n’a pas échappé à la justice. La Cour le tient responsable des actes de ses subordonnés. L’ancien ministre aurait signé des autorisations de paiement sans vérifier les justificatifs. Il aurait aussi fermé les yeux sur les marchés de gré à gré signés en violation de la loi. Ces actes ont facilité les détournements.
Durant l’audience, Khomri a tenté de se défendre. Il a rejeté la faute sur les gestionnaires de l’agence. Il a affirmé ne pas avoir eu connaissance des irrégularités. Les juges ont considéré ses déclarations comme un manque de responsabilité manifeste. Il a été condamné à une peine de deux ans de prison avec sursis et une amende d’un million de dinars.
Le scandale de l’ANLJ illustre les dérives dans la gestion des organismes publics en Algérie. L’agence avait pour mission d’organiser des colonies de vacances, des camps de jeunes et des événements sportifs. Pourtant, plusieurs de ces activités n’ont jamais eu lieu. L’argent alloué à ces projets aurait été transféré vers des sociétés fictives ou des prestataires complices.
Par exemple, l’enquête a révélé que des millions de dinars ont été versés à des entreprises pour des prestations inexistantes. Certaines n’étaient même pas inscrites au registre du commerce. D’autres appartenaient à des proches de responsables. Ces sociétés empochaient l’argent sans fournir de services réels.
D’autres responsables dans le viseur
Le verdict rendu ne concerne pas seulement l’ex-ministre. Plusieurs anciens cadres de l’ANLJ ont été condamnés. Le directeur administratif, les comptables, et les chefs de projets ont tous écopé de peines allant jusqu’à 10 ans de prison. Le tribunal a également ordonné la confiscation de leurs biens mal acquis.
Ce procès s’inscrit dans une vague de poursuites contre la corruption d’anciens responsables publics. Il montre une volonté des autorités judiciaires de faire tomber tous ceux qui ont pillé les ressources de l’État. Même les anciens ministres ne semblent plus intouchables.
L’affaire Khomri envoie un signal fort. L’époque de l’impunité semble révolue. La justice tente de redonner confiance aux citoyens. Elle démontre que les détournements de fonds publics ne restent pas impunis.
L’Algérie veut rompre avec les pratiques du passé. Elle veut responsabiliser ses cadres. L’objectif est clair : remettre l’éthique au cœur de la gestion publique. Cette volonté passe par des procès exemplaires, comme celui de l’ANLJ.
L’affaire ANLJ marque un tournant dans la lutte contre la corruption en Algérie. Elle montre que la justice peut remonter jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État. Le procès de Khomri rappelle que chaque dinar public doit être justifié. C’est une exigence démocratique et une nécessité pour restaurer la confiance des citoyens.